Ne pouvant ignorer l'essor du web, les éditeurs de presse ont lancé il y a plus de 10 ans leur site Internet. Rares sont-ils à avoir trouvé un modèle économique rentable. Pire : le déclin du marché publicitaire amplifie leur perte causée depuis quelques années par la chute du papier.
J'ai été marqué par les trés nombreuses annonces faites depuis une semaine visant à contrer la crise qui meurtrit la presse : celles-ci suffiront-t-elles? La partie est loin d'être gagnée.
Différents modèles possibles ....
Depuis 10 ans, la presse oscille entre :
> Le tout gratuit : Les internautes lisent gratuitement les articles, la publicité finançant le tout. 20Mn.fr est fondé par exele sur un modèle gratuit, tout comme Rue89.L'objectif est alors de disposer d'un maximum d'audience. Ce modèle était plébiscité au début de la décennie en pleine bulle internet. Le problème est que le CPM est vendu de moins en moins cher, d'autant plus que le profil de l'audience semble moins qualifié aux yeux des annonceurs. Un lecteur de journal se monétiserait 10 fois moins qu'un internaute selon un intervenant aux Etats Généraux de la Presse.
> Le tout payant : L'objectif est disposer d'un parc d'abonnés payants. Dans un océan de gratuité qu’est le Web, comment faire payer les internautes surtout quand ces derniers n'ont pas goûté un contenu préalablement ? Certains acteurs pure players ont opté pour ce modèle comme Mediapart ou Arretsurimages. Edwy Plenel a ainsi pris le parti de fonder Mediapart sur du 100% payant expliquant que cela garantissait l'indépendance éditorial du site. Avec 16 000 abonnés payants, Mediapart n'a pas encore atteint l'équilibre
Adopter un modèle purement payant ou purement gratuit est toujours très risqué. S'il s'avère mauvais, la marche arrière est dure à enclencher.
> Du tout payant au tout gratuit : Pas simple de recréer des habitudes de lecture à des internautes qui ont ignoré le site pendant des moi et sont partis à la concurrence qui est restée gratuite.
> Du tout gratuit au tout payant : Faire payer ce qui était alors gratuit n'est pas évident à faire passer auprès d'un lectorat qui n'hésitera pas à partir à la concurrence gratuite.
Aussi, des modèles mixtes ont été trouvés. Une partie du contenu est gratuit, une autre réservée à des abonnés : c'est le cas des Echos et de LaCroix. Idem pour Le Monde qui percevrait le tiers de ses revenus via des abonnements.
Le retour en grâce d’une dose de payant ....
Depuis cet été, les éditeurs font évoluer leur modèle pour s'adapter à la crise publicitaire :
> Wall Street Journal : d'un modèle mixte au payant
Murdoch, le big boss de News Corp., a annoncé le passage au tout payant du Wall Street Journal, fort de son million d'abonnés payant 100 dollars par an. Un système de micro-paiement serait également proposé. En 2010, devraient suivre les autres titres du groupe : The Sun, The Times, New York Post.
> Le Crible : Un modèle 100% payant initié par LesEchos (Sortie cette semaine)
LesEchos ont annoncé la sortie du Crible.fr : un service permettant d'être informé d'infos à trés forte valeur ajoutée issus d'une équipe à la pointe en matière économique et financière. Coût de l'abonnement trés élévés pour une info VIP.
> L'Express : D'un modèle gratuit à un modèle mixte (Sortie fin d'année)
Un abonnement Premium permettra de proposer un accès au contenu du papier 24 ou 48 heures avant la sortie de l'hebdo en kiosque. Je suis assez sceptique : quel bénéfice ai je à lire des articles de fonds ou d'analyses avant tout le monde ?
> Le Figaro : D'un modèle gratuit à un modèle mixte (début 2010)
Une zone Premium se greffera à celle gratuite. Elle proposera des infos relayées par des newsletters "confidentielles très spécialisées" et des outils d'échange avec la rédaction et entre internautes.
> Bakchich.info : D'un modèle gratuit 100% web à un modèle bimedia et mixte (Fin du mois)
Bakchich va lancer une version papier, espérant enfin atteindre l'équilibre. D'autres pure players y réfléchiraient comme Rue89 ou Slate. A noter au passage que l'historique Canard Enchainé a décidé de ne pas partir sur Internet, faute de trouver un modèle satisfaisant. Ce dernier aurait adopté un modèle d'abonnement conformément à son modèle papier excluant toute pub.
> Libération : D'un modèle gratuit à un modèle mixte (Depuis cette semaine)
Avec la nouvelle version de Libération, est proposé un abonnement premium permettant d'accéder :
- Au journal du lendemain en train de se construire avec une pre-publication en fin de soirée.
- Envoi du journal électronique dès le matin (comme LaCroix.fr)
- Aux archives et unes depuis 1973
Certains abonnés pourront être également tirés au sort pour participer au Comité de rédaction. Enfin, sur demande, un abonné pourra demander au service des archives de Libé de réaliser une recherche sur un sujet spécifique tel que traité par le quotidien.
D'autres pistes de revenus complémentaires
Beaucoup de sites agrément ces modèles avec de la revente de contenu à des agrégateurs (attention au duplicate content...). D'autres pistes de revenus additionnels sont à creuser :
* Iphone : Seul l'Equipe propose une version payante de son appli Iphone (certes très modique). Mais, on pourrait imaginer des applications gratuites à l'installation dont une partie du contenu pourrait être payée via Itunes, soit sous la forme d’un abonnement annuel soit via des achats d’articles à l’unité (chose possible prochainement). De façon générale, je suis très sceptique quant aux systèmes de micro-paiement qui rapportent peu à l'éditeur et constituent un vrai frein psychologique (Voir la notion de "coût de transaction mentale" développé par Chris Anderson dans son livre « Free »). Mais en l'occurence, ce système kiosque aurait l'intéret d'être perçu comme indolore et fonctionnerait bien auprès d'une cible urbaine captive à certains moments de la journée (ex: transports en commun).
* Licence globale : L. Joffrin de Libération a proposé cet été le concept d'une licence globale. Les FAI récolteraient une taxe sur leurs abonnements, le produit de celle-ci étant réparti entre les éditeurs au pro rata de la lecture de leurs articles (également proportionnellement à la taille de la rédaction). L'idée est séduisante car la presse deviendrait payante mais indolore pour des internautes qui ne savent plus payer. Abandonnée dans le cadre de la musique, il y a peu de chance qu'elle soit mise en place de part le lobbying des FAI.
Mon (humble) son de cloche sur le sujet
Je suis séduit par l'offre Premium de Libération. Avec la construction du journal en direct et un accès possible au Comité de rédaction, l'abonné s'approprie le journal et met un pied dans le journal. On lui dit tout : Les articles qui sont passés, ceux qui ont été retirés, les modifications sur ces derniers, les doutes et erreurs, etc... Libé pourrait renforcer cet aspect communautaire et participatif :
- Ouvrir un "Réseau social" d'abonnés
- Accroitre les interactions avec le comité de rédaction (les filmer ?)
- Laisser les abonnés rédiger des articles dont la diffusion pourrait dépendre d’un comité de rédaction paritaire Journaliste-Abonnés.
- Etc...
Les zones premium de ces concurrents sont puavres en valeur ajoutée. arce que je suis abonné, j'ai le doit d'accéder au contenu « papier » avant sa sortie en kiosque ou bien après celle-ci (Archives). La belle affaire ....
En fait, il n'y a pas de bon ou mauvais modèle économique. Pour tendre vers le bon modèle, il faut rester pragmatique et se poser les bonnes questions :
- Tout mon contenu est-il original et à forte valeur ajoutée ? Entre un site de conseils boursier et un site d'actu people, rien à voir...
- Mon audience est-elle faite de professionnels ou de particuliers ? Un pro est toujours plus apte à payer surtout quand ce n'est pas lui qui le fait ... L'exemple des Echos en est le meilleur exemple.
- Mes internautes sont ils plus intéressés par les archives que les news ? Récemment, un éditeur de presse auto m'indiquait que son audience était fait au 3/4 d'archives (essais auto). Dans ce cas là, pourquoi ne pas faire payer les news qui par ailleurs sont payantes dans le journal et laisser gratuites les archives ?
Il faut aussi me semble-t-il chasser certaines idées préconçues que j’ai pu entendre quand je gérais les activités Web d’un hebdo boursier :
- "Rendre mon contenu gratuit le dévalorise" : Un film n'est pas meilleur que l'on ait payé un billet au ciné ou que l'on ait vu dans son canapé sur TF1.
- "Si je propose gratuitement mon contenu sur Internet, on n'achètera plus mon journal" : Si vous ne proposez pas gratuitement au moins une partie de votre contenu, non seulement on n'achètera plus votre journal mais en plus vos lecteurs iront à la concurrence Internet là où c'est gratuit.
En conclusion, les éditeurs de presse sont à la barre d'un navire en pleine tempête à la coque éventrée au bord duquel on essaye de reconstruire un nouveau bateau sans en avoir les plans et ressources ... faisons le point dans 6 mois.
PS/ Désolé pour le titre ... je n'ai pas trouvé mieux.
RV sur mon fil Twitter : http://twitter.com/philippelabare
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